Cycle de conférences Sorbonne Université « It’s better to speak »: les scientifiques face à Gaza
« It’s better to speak. Les scientifiques face à Gaza » est un cycle de séminaires né sur initiative d’un petit groupe de personnes qui travaillent à Sorbonne Université comme ATER, MCF, doctorant·e·s, PRAG, stagiaire et étudiante dans le but de créer des moments de réflexion et de débat tout au long du semestre, au sein de l’espace universitaire. Comme des autres groupes ont fait avant nous dans des autres universités françaises, nous voulons contribuer à la création d’un espace de circulation de la parole et des savoirs sur la Palestine et le génocide du peuple palestinien perpétré par Israël, avec la validation de la majorité des pays dits occidentaux.
Ce séminaire souhaite créer un espace pour, comme préconisé par bell hooks, soigner nos blessures. Ces blessures collectives sont des marques par la violence exercée depuis le 7 octobre 2023 par les universités et les universitaires à travers le silence dominant , ainsi que la répression dicrecte et indirecte des savoirs et des corps de celles et ceux qui ont pris la parole pour parler de la colonisation et du nettoyage ethnique en Palestine et qui n’ont pas accepté de se conformer aux modus operandi généralisé : se taire.
Nous avons vu, à partir du 7 octobre, les institutions universitaires construire et diffuser des discours et pratiques qui ont normalisé l’injonction à ne pas prendre la parole sur le massacre du peuple palestinien. Ces discours et pratiques se sont traduites en répression et en mesures liberticides. Ce contexte n’a pas empêché les étudiantes et les étudiants de former un mouvement de portée mondiale qui s’est soulevé contre la violence des gouvernements et des institutions occidentales et qui a rendu manifeste le fait que le mot « neutralité » avait pris une nouvelle signification : le soutien inconditionnel à Israël.
Malheureusement le mouvement étudiant n’a pas été accompagné par leurs enseignant·e·s. Nous, le corps enseignant, nous n’avons pas su répondre le défi qui nous était posé : faire barrière à l’injustice épistémique. Les universités, les écoles d’art, les centres de recherche ont décidé de pratiquer le silence et de le rompre seulement pour affirmer leur « neutralité ». Les sciences sociales critiques, ainsi que l’épistémologie féministe et décoloniale, nous ont enseigné que la neutralité n’existe pas, qu'elle est le privilège des dominants : c’est à dire de ceux qui peuvent ne pas se positionner et faire passer leur positionnement comme une inaction, une immobilité. Pourtant, « ne pas agir » est bien une action, une action de positionnement dans le camp du pouvoir et un acte de renforcement des discours dominants et des oppressions. Quand il provient des corps des dominants, le silence, loin d’être tout ce qui concerne le non-dit, devient un acte d'énonciation qui a le pouvoir de se transformer en acte de répression. Nous l’avons vu le 7 mai dernier quand le rectorat a permis aux CRS de transformer un amphi de la Sorbonne de lieu d’apprentissage de la liberté et de la pensée critique en lieu d’exercice de la violence, avec 88 étudiant·e·s mis·e·s en garde à vue.
Le choix du silence, la normalisation d'un nettoyage ethnique, le déni d'un génocide, la répression de la solidarité, l’injonction à la scission de nos vies en vie ‘scientifique’ d’un côté et vie ‘militante’ de l’autre, sont des actes délibérés qui ont transformé les université, des lieux de circulation des savoirs critiques, en foyers de ce que José Medina appelle la « production d’ignorance ». Valider l’idée que toute critique d’Israël, de sa politique coloniale, toute opposition à l’apartheid, tout usage des mots du droit international équivalait à un acte d'antisémitisme a été la conséquence du choix des universités de s’aligner sur une politique gouvernementale impérialiste et complice, qui a légitimé la vente d’armes et leur production par des entreprises qui collaborent avec de nombreuses universités, Sorbonne comprise. Mais les universités, comme espaces légitimes de production des savoirs, ont fait pire encore : elles ont trahi leurs fonction première : c'est-à-dire produire et faire circuler les connaissances necessaire à faire barrage contre la propagande et contre ce que Karine Lamarche et Nitzan Perelman appellent le « sens commun politico-médiatique » (Yaani, 2025).
Avec la reconstruction de Gaza, alors que l’autodétermination du peuple palestinien est toujours en suspens, nous avons ici le devoir de reconstruire nos universités, détruite par l’ignorance, la censure et l’obscurantisme. Si la Palestine est la boussole de nos luttes politiques et féministes, elle a permis de rendre plus que jamais manifeste l’obsolescence de nos universités, fondées sur les savoirs hégémoniques produits par un club très fermé et minoritaires d' hommes blancs issus de six pays occidentaux, qui ne sont et ne seront jamais à la hauteur des défis contemporains et de la nécessité de développer une conscience critique au service de la justice sociale. Les universitaires sont appelés aujourd’hui à combattre la colonialité des savoirs qui favorise le maintien du statut quo et contribue à renforcer ce que Mark Fisher appelle le « réalisme capitaliste ». Si le réalisme capitaliste tue notre imaginaire et empêche de voir des alternatives au capitalisme, le réalisme universitaire nous empêche de penser que les universités peuvent devenir des lieux de radicalité : c’est-à-dire des lieux où il est possible d’aller chercher collectivement les racines des injustices, où les savoirs peuvent être des outils d’émancipation et non d’oppression, où l’autorité des figures d’enseignement et de recherche se transforme en responsabilité et non en privilège.
Peut-être qu'aujourd’hui nous avons enfin la possibilité de construire sur les décombres de l’université universaliste, une université pluriverselle qui deviendra un des espace de réflexion autour des futures de la Palestine et de création d’un monde décolonial. Dans ces années d’injonction au silence par les sanctions directes ou la création d’une « peur d’atmosphère », les mots de la poète afroaméricaine lesbienne Audre Lorde résonnent encore plus fort, quand elle nous invite à transformer le silence en acte. Si la peur est un poison qui se glisse partout, comme nous dit l’artiste Céline Ahond, le corps collectif est son antidote. Multiplier les initiatives, créer des groupes, pratiquer la solidarité et la tendresse militante nous permet de ne pas succomber au poids du silence car,
« Quand nous parlons, nous avons peur que nos mots ne sont pas écouté ou accueillis. Mais quand nous restons en silence nous avons peur aussi. Donc c’est mieux de parler ».
"It's better to speak"
📍 Sorbonne Université, 1 Rue Victor Cousin, 75005 Paris, France